
La Bête de Cirque
Conte de Fée par Descendrillon
Préambule :
Quand j’avais sept ans, mon père fut hospitalisé pendant quelques mois à la suite d’un accident. Je l’ai appris de ma mère alors que je revenais de l’école pour le diner. Je lui ai assuré que j’allais l’aider, mais sa réponse fut que j’étais encore une petite fille et que c’était à elle, la maman, d’assumer les responsabilités du foyer. Elle le fit très bien, et je connus une vie plus équilibrée que jamais auparavant. Mon père sortit de l’hôpital le jour de mon anniversaire; je me sentais coupable de ne pas être heureuse de son retour. J’étais plutôt plongée dans le deuil du renoncement obligé de la vie plus saine que j’avais connue pendant son absence. La présente histoire débute bien des années avant cet accident.
Présentation de la Petite sur la scène du cirque :

« Oyez! Oyez! Approchez! Approchez! Venez voir la Petite Fille la plus gentille et la plus obéissante au monde! Un phénomène encore jamais vu! Dépouillée de son identité, donc aussi démunie que si on lui avait enlevé les deux bras et les deux jambes, elle n’a plus aucun moyen d’agir, de décider ou de se protéger d’une situation, même lorsque celle-ci devient dangereuse! Venez la voir au cirque! Assistez à son grand tour de magie : sa disparition ; eh oui, aussitôt que la Petite Fille pense qu’on lui accorde de l’attention, elle devient complètement paralysée, puis… elle se met tout doucement à… disparaître! De la très haute prestidigitation !!! Voyez-la à quatre ans, en tournée devant toute sa famille, ensuite dans toutes ses écoles, puis encore et encore dans plusieurs scènes de sa vie de tous les jours, et ce, pendant près de cinquante ans! Achetez vite votre billet : on ne sait jamais; elle pourrait, qui sait, entièrement et définitivement disparaître dans les deux ou trois prochaines représentations !!! Venez profiter de ce spectacle inusité dès maintenant! Voyez-la, sous le fouet des paroles et du regard du dompteur Vlad : la Petit Fille devient alors immobile et transparente! Le Grand Vlad la confie ensuite à sa très fidèle assistante qui peut lui demander de faire trois fois le tour de la scène, dans le plus total silence et sans jamais rompre le charme!
Admirez cette « bête » de cirque savante, du haut de ses quatre ans, lorsque le Grand Vlad lui demande d’épater son auditoire par ses prouesses de lecture! Aussitôt la Petite Fille s’exécute! Son cerveau fécond déborde de connaissances, si bien qu’à sept ans, son bulletin scolaire est distendu par ses grosses notes parfaites qui débordent de tous les côtés du papier! Mais surtout, et c’est le plus fascinant, elle peut disparaitre sur demande. Oui, oui, la Petite Fille est toujours là…mais vous ne la voyez plus!! »
Fin de la présentation de la Petite Fille sur la scène du cirque.
La Petite Fille la plus gentille et obéissante au monde est dans sa cage et elle attend le début de la représentation suivante en se tortillant les mains et en fixant le bout de ses chaussures. Aujourd’hui encore, elle fera exactement ce qu’on attend d’elle, mais ce sera difficile, de plus en plus difficile. Elle sera poussée au point où la laideur de la honte paralysante l’atteindra. Au summum de l’inconfort, le phénomène surviendra encore et encore : elle deviendra de plus en plus transparente et s’efforcera, de toutes les fibres de son être, de disparaître. La Petite Fille n’y parviendra pas complètement, mais pour elle, cela rendra tout ce cirque intérieur plus supportable, car elle sera ainsi certaine de combler presque toutes les attentes du Grand Vlad et, surtout, d’atténuer l’imperfection — effacer la tache — qu’une petite fille peut constituer dans le décor parfait auquel il aspire.
Dans la cage d’à côté, elle voyait, sous les traits d’un Vieux Lion, un semblant d’image d’elle-même projetée vers le demi-siècle à venir. Même si la cage du lion restait constamment ouverte, il n’en sortait jamais. Qu’aurait-il bien pu faire de lui-même? Tout ce qui l’identifiait à un lion avait cessé d’exister en lui depuis longtemps. Il n’aurait pas pu faire la différence entre être un éléphant ou être un lion. Il n’avait plus aucune conscience de qui il était. L’avait-il déjà su? Ce pauvre Vieux Lion, devenu un fantôme de ce qu’il aurait dû être, semblait souffler à la Petite Fille : « Qui es-tu? Sors de ta cage, ça presse! »
Début d’une expérience pour la Petite Fille
Un jour, le Grand Vlad ne se présenta pas pour le spectacle. Sa très fidèle assistante avait informé la Petite Fille qu’il avait eu un grave accident et qu’il ne reviendrait pas avant longtemps. La très gentille et obéissante Petite Fille avait toujours eu de la compassion pour cette fidèle Assistante qui, malgré son âge avancé, ressemblait plus à une gentille jeune fille soumise et très douce qu’à une dompteuse sadique. Elle alla donc voir l’Assistante et lui dit: « Je vais t’aider en continuant le spectacle avec toi. Je ne sais pas si ma vraie nature est d’être si sage ou si je le suis devenue sous le fouet, mais si cela peut t’aider, je sais qu’aujourd’hui je n’ai plus besoin de ce fouet pour continuer à donner le spectacle. » Au très grand étonnement de la Petite Fille, l’Assistante lui fit signe que non; puis elle ajouta: « Chère Petite Fille, dorénavant tu n’auras plus à donner ce spectacle, c’est mon rôle d’Assistante de veiller à la continuité des choses, tu n’auras plus à y collaborer ».
À partir de ce moment-là, il se passa beaucoup de choses belles et étonnantes dans la vie de la Petite Fille! Elle eut le droit d’être une petite fille. Oui! Juste une petite fille normale. Elle trouvait que cela goûtait vraiment très bon. Elle pouvait maintenant faire des choses qu’elle croyait être auparavant très graves et inconvenantes; c’est que dans le passé, on le lui avait toujours interdit et qu’on l’avait rendue très honteuse lorsqu’elle avait évoqué le désir de les faire. Elle pouvait maintenant rire ou chanter comme bon lui semblait. Elle pouvait prendre son repas plus tôt, c’est-à-dire au moment où elle avait faim! Elle pouvait même manger en regardant la télévision. La Petite Fille n’était plus obligée de raconter ses journées au Grand Vlad, qui prenait alors plaisir à la ridiculiser. Elle n’avait plus à orienter son attention sur les émotions du dompteur en ignorant les siennes. Elle n’avait plus à s’astreindre, sous le poids d’une peur morbide, à un ensemble de règles rigides du dompteur pour décider de chaque geste à poser pendant la journée. L’aspect physique de la Petite Fille avait changé; il est même possible qu’elle eût prit un peu de poids, car elle ne souhaitait plus du tout disparaître maintenant. Voilà le dur constat que fit la Petite Fille le jour de son anniversaire, peu avant Noël, lorsque le Grand Vlad réapparut au cirque! « Mais pourquoi le redoutait-elle de la sorte? » se demandait-elle. Tout le monde aimait et appréciait ce dompteur, du fait qu’il était un personnage étonnamment brillant et talentueux, ayant beaucoup de charme. Toutefois, pour la Petite Fille, ce dompteur n’était nul autre qu’un « dompteur d’émotions » qui n’avait aucune compassion pour elle.
Dénouement de l’histoire
Cette histoire ne finira pas aussi mal qu’on pourrait se l’imaginer car la finale se réécrit un peu à chaque jour, si bien qu’on perçoit déjà beaucoup de rétablissement chez la Petite Fille : elle est de moins en moins « gentille et obéissante ». Mais seulement pour aujourd’hui, faisons-nous plaisir et réécrivons une fin imaginaire à cette histoire, d’un seul jet, comme si les blessures d’enfance pouvaient être éradiquées d’un coup de baguette magique.
« Approchez, approchez! Venez voir comment une très touchante histoire d’horreur peut devenir une impressionnante histoire d’Amour; il s’agit de l’histoire d’une Petite Fille trop gentille et obéissante, et d’une Grande Fille formidablement plus sage car beaucoup moins obéissante ». Le jour où le dompteur est revenu au cirque — à la maison —, tout aurait pu redevenir comme avant. Et pourtant non! Pour la Petite Fille, c’eut été dorénavant beaucoup trop insupportable. En effet, après avoir pris conscience que ces façons d’agir n’étaient ni normales, ni méritées, elle pouvait aisément imaginer que de retourner disparaitre sur la scène de Vlad l’aurait blessée à tout jamais, et elle ne serait devenue que la Grande Fille la plus gentille et obéissante au monde, tout comme le Vieux Lion du début qui n’en n’était plus un. Elle n’aurait jamais pu savoir qui elle était vraiment au fond d’elle-même; elle n’aurait alors même jamais pu écrire cette histoire, à moins qu’elle ait reçu des soins exceptionnels pour en guérir.

Voici donc la fin joyeuse de cette histoire, telle qu’on est en droit de l’attendre dans un conte qui se termine bien.
L’Assistante n’était pas exactement la personne que l’on avait semblé croire au tout début du conte. Même si elle devait assumer davantage de responsabilités, elle aussi avait apprécié les moments d’absence du dompteur. Quel plaisir elle avait éprouvé à voir s’épanouir la Petite Fille! Même si elle n’avait jamais pu le lui dire, elle avait en fait été envoyée pour être, à parts égales, l’Assistante du Grand Vlad et l’Assistante de la Petite Fille. C’est donc dire qu’elle avait le devoir de protéger et de défendre la Petite Fille contre tout abuseur, même contre le Grand Vlad. Qui plus est, elle devait enseigner à cette petite à se protéger elle-même. Toutefois, le Grand Vlad était si exigent, si accaparent et… si séduisant pour l’Assistante, qu’elle n’avait jamais eu la force de le contrarier pour prêter assistance à la Petite Fille et ainsi combler ses besoins si légitimes. Il était clair que l’Assistante avait failli à une partie de sa mission! Comment pourrait-elle dorénavant assumer davantage sa responsabilité envers la Petite Fille ? Il y avait des choses qu’elle croyait inévitables, dont celle de permettre au dompteur de revenir au cirque, même s’il était toxique et égoïste, et il y avait celles qui étaient nettement au-dessus de ses forces : affronter le dompteur et le contrarier. Mais il devait sûrement exister quelque chose qui aiderait vraiment la Petite Fille ? Et si elle commençait par oser parler à cette petite de l’injustice créée par le dompteur à son égard ? Ce serait sûrement très douloureux, pour l’une comme pour l’autre. Mais elle le fit tout de même, et c’est là que l’histoire se transforme en Une Belle Histoire d’Amour.
L’assistante lui dit aussi : « Tu as raison chère Petite Fille de ne pas souhaiter le retour de Vlad. Tu as impérativement besoin d’être protégée contre les abuseurs comme lui. Puisque mes blessures psychologiques m’empêchent d’y arriver, je te transfère la partie de mon contrat qui en faisait mention. Essaie de toutes tes forces d’honorer ce contrat. Pour y arriver, tu devras trouver un certain miroir; il est infusé d’un pouvoir magique très puissant. Certaines personnes le trouvent dans leur cœur et d’autres dans les fraternités comme l’intensif Retrouver l’Enfant en Soi (RES). Ainsi, chaque fois que tu regarderas dans ce miroir, tu nous y verras toutes les deux : toi la Petite Fille et moi-même, l’Assistante. Le reflet de la Petite Fille que tu es te dira si tu es en train de subir un abus. Ce reflet te révèlera également tous tes besoins. » Et l’Assistante de poursuivre : « Au début tu devras peut-être lire sur ses lèvres, mais, avec le temps, tu verras que vous allez devenir excellentes à communiquer l’une avec l’autre. Avec l’information reçue du miroir, tu ne sauras pas comment remédier à ta détresse et répondre à tes besoins, car ce sera le reflet d’une toute Petite Fille sans défense qui se confiera à toi. Alors tu regarderas mon reflet à moi, l’Assistante, et ceci te permettra de devenir, de plus en plus, ta propre Assistante bienveillante. » Et l’Assistante de continuer : « Mon reflet t’expliquera comment toute bonne assistante doit procéder. N’oublie pas qu’il s’agit d’un reflet, alors ce reflet te donnera les instructions à l’envers. Donc au tout début, tu auras tendance à faire exactement le contraire de ce qui convient, mais t’y exercer te procurera un réel plaisir, surtout que tu y arriveras de mieux en mieux. Je suis désolée de ne pas avoir joué le rôle d’Assistante qui m’avait été attribué à ton égard. Aussi je ne te demande pas de me pardonner, mais d’ouvrir simplement ton cœur à tout sentiment de guérison intérieure que tu pourras éprouver à partir de maintenant. Puis-je t’offrir un câlin pour t’apporter tout le réconfort que je suis en mesure de te donner? » Du fait de n’en avoir jamais reçu, La Petite Fille trouva ce câlin vraiment bizarre, mais en même temps ça semblait tellement normal et bon!
Après avoir desserré tout doucement cette étreinte, La Petite Fille déposa sa tête sur les genoux de l’Assistante et la laissa lui caresser les cheveux très longtemps. Pour la première fois de sa vie, elle ressentit un sentiment de connivence et de complicité avec un autre être humain. C’est alors que naquit en elle un puissant sentiment de légitimité — le droit d’exister — et une volonté de repousser tout dompteur, et de s’occuper enfin de ses besoins à elle.
On dit que, rempli de ce puissant pouvoir d’Amour tout de même un peu magique, le Vieux Lion aurait pu entrapercevoir son reflet dans le miroir et que, quelque part dans la jungle, celui-ci se serait soudainement matérialisé en rugissant, tel un vrai roi. N’était-ce pas là sa destinée?

FIN
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Règles suggérées pour l’écriture du conte de fée. Ces règles sont reproduites ici pour une meilleure compréhension par le lecteur.
Le conte de fée
Il est totalement aléatoire. Il nous est demandé de raconter le récit d’un quelconque personnage en utilisant la troisième personne du singulier. Toutefois, la trame doit être inspirée de notre histoire personnelle. Il est suggéré que le conte débute par « Il était une fois » : l’histoire se passe dans l’enfance où différentes blessures se sont installées. Puis le conte se poursuit par « Une fois devenu grand » : l’histoire raconte les réactions de cet enfant blessé vivant maintenant dans son corps devenu adulte. Le conte se termine par « Et puis » : ce personnage adulte, toujours décrit à la troisième personne du singulier, fait le constat que sa douleur et ses comportements malsains causés par la dysfonction familiale subie dans l’enfance l’amènent à demander de l’aide.
Les noms et prénoms utilisés ici sont fictifs; toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existés serait purement fortuite.
Note pour le lecteur : Tous les textes proposés ici ont été écrits pendant des intensifs de Retrouver l’Enfant en Soi (RES).